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Civiliser les Arabes, les Noirs et les Asiatiques était considéré par le colonisateur comme « le fardeau de l’homme blanc ». Le concept est tiré d’un poème publié le 10 février 1899 dans The New York Sun par Rudyard Kipling[1]Bombay1865 - Londres 1936, l’auteur britannique mieux connu pour son « Livre de La Jungle » (1894).
The white man’s burden (« Le Fardeau de l’Homme blanc ») traite de la Guerre américano-philippine (1899–1902) et invite les États-Unis à assumer le contrôle colonial des Philippines. Très vite, le poème devient le symbole de l’eurocentrisme (ou plutôt celui du racisme eurocentrique) justifiant la colonisation en tant que mission civilisatrice...
À la fin du XIXe siècle, lorsque l’expansion coloniale de l’Occident touchait à ses limites, Rudyard Kipling insistait sur la mission universelle de l’homme blanc : civiliser et administrer les « races sauvages et agitées » dans les quatre coins du monde et subvenir à leurs besoins.
Il considérait les peuples colonisés comme des sauvages qui n’avaient pas de civilisation. L’homme blanc devait donc, par « pur altruisme », s’imposer le fardeau de les civiliser tout en s’exposant à de nombreux périls :
Assumez le fardeau de l’homme blanc. Les sauvages guerres de la paix. Nourrissez la bouche de la famine. Et faites que cesse la misère. Ô Homme blanc, reprends ton lourd fardeau : envoie au loin ta plus forte race, jette tes fils dans l’exil pour servir les besoins de tes captifs ; pour — lourdement équipé — veiller sur les races sauvages et agitées, sur vos peuples récemment conquis, mi-diables, mi-enfants. Ô Homme blanc, reprends ton lourd fardeau : Non pas quelque œuvre royale, mais un travail de serf, de tâcheron, un labeur commun et banal. Les ports où nul ne t’invite, la route où nul ne t’assiste, vas-y, construis-les avec ta vie, marque-les de tes morts ! Ô Homme blanc, reprend ton lourd fardeau ; tes récompenses sont dérisoires : le blâme de celui qui veut ton cadeau, la haine de ceux-là que tu surveilles. La foule des grondements funèbres que tu guides vers la lumière : pourquoi dissiper nos ténèbres, nous offrir la liberté ?
En résumé, la colonisation n’était qu’une succession d’actes de philanthropie pour le bien des peuples sauvages. La réelle victime n’était pas le colonisé, mais le colonisateur qui, pour le bien des indigènes, travaillait dur et risquait sa vie.
Cette mentalité coloniale prévaut toujours à notre époque chez de nombreux politiques français. On se souvient tous du discours désastreux de François Fillon dans lequel il avait déclaré que la colonisation était un « partage de culture ». Ou encore celui de Nicolas Sarkozy qui, au Dakar, avait eu l’audace de louer les « exploits » réalisés par la France en citant que le colonisateur « a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. »
Comme si Nicolas, très nostalgique du passé colonial, était fier que ses compatriotes aient répondu à l’appel de Kipling lorsqu’il dit : « Ô Homme blanc, reprends ton lourd fardeau. Les ports où nul ne t’invite, la route où nul ne t’assiste, vas-y, construis-les avec ta vie ! »…
Au XXIe siècle, beaucoup d’hommes blancs s'imaginent qu’ils portent toujours le fardeau inventé en 1899 par Rudyard Kipling. Plutôt que de laisser chaque peuple vivre selon ses propres valeurs et coutumes, l’Occident estime qu’il est encore de son devoir de s’immiscer dans la culture des autres par voie de réforme, éducation et démocratisation.
Dans un pamphlet de propagande islamophobe qui aurait eu parfaitement sa place dans l'Algérie des années 1850, Jean-Pierre Chevènement estime que la France doit continuer d’assumer son « rôle civilisateur » de colonisateur :
Il faut ouvrir un nouvel horizon de progrès à l’humanité entière. À l’Afrique, dont on voit bien que seul le développement pourra apporter une solution à ses problèmes et lui permettra par exemple de maîtriser sa démographie. Ceci implique de travailler à sa sécurité. Il faut saluer, à ce sujet, l’action de nos soldats dans des pays comme ceux du Sahel, qui sont extrêmement fragiles. Cet horizon de progrès, il faut l’apporter aussi aux peuples arabes du Proche-Orient, qui aspirent à la paix…
Tout comme Kipling saluait les armées coloniales qui menaient « des guerres cruelles pour imposer la paix », Chevènement salue l’armée française qui a le devoir et la charge de civiliser les « mi-sauvages » du Sahel en s’exposant à de nombreux périls. C’est ainsi que l’Homme blanc assume à nouveau son lourd fardeau pour veiller au profit de l’« autre ».
Jean-Pierre Chevènement ne le dit pas de manière explicite, mais son discours indique qu’il souhaite recoloniser l’Afrique et le Proche Orient pour les détruire une seconde fois. Car tant qu’il y a des musulmans qui n’ont pas assimilé les « valeurs universelles » de la France, l’homme blanc n’aura pas accompli sa mission civilisatrice.
Voilà pourquoi dans son manifeste, Chevènement reprend entièrement le concept colonialiste des « indigènes peu évolués sans civilisation » qui ont besoin d’un « nouvel horizon de progrès » venant d’Occident. Il souhaite que la France apporte une solution aux problèmes d’Afrique, ignorant que c’est justement la France qui est la source de quasi tous les problèmes auxquels les Africains sont aujourd’hui confrontés…
La fable comme quoi la France aurait permis à l’Afrique d’entrer dans la modernité et de poser les bases de son développement économique peut toujours être retrouvée dans la majorité des manuels scolaires consacrés à l’histoire coloniale. Mais encore plus préoccupant est que cette politique colonialiste s’applique aujourd’hui aux musulmans de France. Imprégné d’un discours raciste et colonialiste, le pamphlet de Jean-Pierre Chevènement en est le parfait exemple, car il vise l’acculturation des musulmans de France au nom d’une nouvelle mission civilisatrice :
L’avenir de l’islam de France ne peut être indépendant d’une politique d’intégration à la communauté nationale… C’est donc un problème général qui nous est posé. C’est un défi de civilisation.
Chevènement a le mérite d’être clair, il dit vouloir « faire des citoyens » en s’assurant que les musulmans puissent accéder à la civilisation.
Les politiques et les médias occidentaux sont quant à eux moins explicites et ne parlent plus de « mission civilisatrice » ou de « sauvages ». Cependant, leur perception du monde musulman est restée identique à celle du colonisateur du XIXe siècle. Certains historiens parlent de « colonisation interne » pour décrire la politique d’acculturation avec laquelle on impose une éducation exclusive qui supprime toute spécificité culturelle et religieuse de l’enfant.
La société multiculturelle où les citoyens vivent ensemble en respectant la culture et la religion de l’autre est qualifiée par Chevènement de « désagrégation qui menace nos sociétés ».
En 2018, l’altruisme colonial qui a gangréné le monde musulman règne toujours au sein des écoles françaises et belges. C’est toujours et encore le dogme du « fardeau de l’homme blanc » qui motive ces gouvernements à protéger les petites écolières « mi-diables, mi-enfants » du danger de leur voile :
Ce sont des principes fondamentaux, comme l’égalité entre hommes et femmes, qui sont violés quand on veut voiler des fillettes de cinq ans… Le grand problème qui se pose à nous est celui de l’intégration complète de nos concitoyens musulmans à la communauté nationale.
Il est clair que Chevènement n’a jamais dialogué avec des musulmans pratiquants, l’ensemble de ses propos étant des copiés-collés d’ouvrages d’islamologues français. C’est d’ailleurs en étudiant les thèses de Gilles Kepel que Jean-Pierre Chevènement s’est radicalisé et qu’il a, sans même s’en rendre compte, hérité d'un racisme colonial…
Depuis l’occupation brutale de Napoléon en Égypte, la France n’a cessé de croire qu’elle avait une mission civilisatrice dans le monde musulman. Cette politique avec laquelle on souhaite civiliser le « sauvage islamiste » a ensuite été transplantée au sein même de l’hexagone. La minorité musulmane est aujourd’hui traitée comme un peuple indigène et colonisé qui a besoin d’un homme blanc civilisé pour lui enseigner sa religion.
Chevènement ne cache nullement que l’objectif de sa fondation est de « favoriser l’émergence en France d’un islam cultivé ». L’« islam cultivé », vous le connaissez sûrement, c’est l’islam des « Lumières », l’islam laïc de grands penseurs comme Hassan Chalghoumi et Rachid Benzine. C'est l’islam qui doit nous débarrasser de toutes les pratiques, valeurs et croyances non occidentales.
C’est donc pour notre grand bien que Chevènement affirme vouloir « ouvrir des chemins d’élévation intellectuelle, morale, spirituelle » chez les musulmans de France et cela « en contribuant notamment à une meilleure connaissance de l’islam ». Voyez-vous, nous les musulmans « semi-barbares », nous n’avons toujours pas saisi que pour comprendre notre religion, il nous faut revenir à l’homme blanc. Et pour accéder à « la modernité », il nous faut abandonner notre identité et adopter les principes de ceux qui durant des siècles n’ont cessé d’occuper nos terres et massacrer nos frères. D’où la nécessité évidente du surhomme laïque qui portera à nouveau son fardeau en nous élevant intellectuellement, moralement et spirituellement.
Ô Chevènement, quand le comprendrez-vous : ce sont les Arabes, les Africains, les Amérindiens, les Asiatiques et les aborigènes d’Australie qui, au long des différentes occupations coloniales, ont dû porter le terrible fardeau qu’était l’homme blanc. Non l’inverse.
Comprenez ô Chevènement : nous ne sommes pas votre fardeau, c’est vous qui êtes le nôtre…
Notes:
↑1 | Bombay1865 - Londres 1936 |
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