Aux Pays-Bas, le journal « De Correspondent » a souhaité briser les préjugés et les amalgames véhiculés par les grands médias sur l’islam et les musulmans visibles. Les lecteurs du journal ont pu interroger un musulman pratiquant afin de comprendre qui était réellement l’autre.
Dans cette quatrième partie du débat une femme islamophobe tente d’avancer des arguments pour interdire le voile. Ce sont les mêmes arguments que l’on passe en boucle dans les médias français sauf que cette fois-ci un musulman y répond un par un…
LE VOILE DANS LA « SOCIÉTÉ MODERNE »
Halbe Hibma (professeure de physique) : Moi, je suis d’avis que si une personne souhaite vivre dans une société moderne, elle doit aussi s’habiller en fonction de cette société. Et ici, le voile islamique n’a pas sa place, car celle qui le porte exprime ne pas vouloir partager les mêmes valeurs et normes que moi.
Kareem El Hidjaazi (K.H.) : Mais comment définir la modernité et qui la détermine ? Et qui êtes-vous pour imposer votre vision de la « modernité » aux autres ? Et comment en êtes-vous arrivée à la conclusion qu’une femme voilée ne peut appartenir à cette modernité ? Et qu’en est-il des sœurs chrétiennes, ont-elles le droit de garder leur voile dans votre « société moderne » ? Et les Juifs avec leur kippa, sont-ils démodés ou pas ?
Lorsque vous partez en vacances dans un pays du Maghreb, vous habillez-vous comme les femmes sur place ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi exigez-vous que les femmes musulmanes le fassent dans votre société « moderne » de grandes libertés ?
Halbe Hibma : Pour moi, la modernité est basée sur le désir d’innovation. Elle étudie les anciennes pratiques et vérifie si elles ont bien leur place à l’époque actuelle. Aujourd’hui, que d’autres me disent encore ce que je devrais porter comme vêtements est une débilité profonde.
J’estime que certaines coutumes et traditions ont une date de péremption. Ce ne sont que les conventions sociales qui les maintiennent en vie alors qu’il est tout simplement absurde de les maintenir.
K.H. : Supposons pour un instant que d’autres Hollandais pensent que votre façon de vous habiller n’est plus moderne. Que leur diriez-vous ? Qu’il s’agit d’une « débilité profonde » et que d’autres ne doivent pas se prononcer sur ce que vous portez, non ? Eh bien, il en est de même pour les femmes musulmanes, elles considèreront votre demande comme une « débilité profonde ». Est-ce leur droit ou êtes-vous la seule à pouvoir dicter aux autres comment s’habiller ? Pourquoi ne pas laisser tranquille ces femmes de la même manière que vous souhaitez qu’on vous laisse tranquille ?
Or, si vous estimez que votre opinion doit être adoptée comme référence universelle pour déterminer ce qu’est la modernité, vous n’avez qu’à instituer une loi stipulant que tout ce que vous considérez comme « débilité profonde » devient illégal.
LES TENSIONS DU VOILE DANS L’ESPACE PUBLIC
Halbe Hibma : Je dénonce le voile islamique, car j’estime qu’il n’est pas compatible avec notre culture et qu’il n’a pas sa place dans la société hollandaise qui est laïque.
K.H. : Une société laïque signifie qu’il y a une séparation entre l’Église et l’État et non entre les croyants et la pratique de leur religion. Vous avez exactement la même interprétation que les islamophobes en France. Eux aussi sont incapables de faire une distinction entre la séparation de l’Église et de l’État et les pratiques individuelles des musulmans.
D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi une culture où les femmes se voilent n’aurait pas sa place aux Pays-Bas.
Halbe Hibma : Il semble que vous ne reconnaissez pas l’importance que j’attache à la société laïque où le voile provoque des tensions dans l’espace public.
K. H. : Est-ce le voile qui provoque des tensions dans l’espace public ou est-ce que c’est l’intolérance de certaines personnes qui provoque les tensions autour du voile ? Aux Pays-Bas, la société doit-elle se soumettre à la haine et à l’intolérance des islamophobes en interdisant le voile ? Ou doit-elle plutôt se soumettre à la Déclaration universelle des droits de l’homme qui accorde aux citoyens le droit de s’habiller selon leurs convictions ?
Je vous ai déjà expliqué que votre compréhension de la société laïque n’était pas conforme aux lois de la société hollandaise. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces lois permettent le port du voile dans l’espace public. Je pense donc que si vous attachez réellement une grande importance aux valeurs de votre société laïque, vous devriez au moins en respecter les lois.
Halbe Hibma : Mais pourquoi le voile doit-il absolument être porté dans l’espace public ? Il est important de prendre en compte le contexte social. L’espace public appartient à tout le monde. Je crois qu’un voile n’a pas sa place dans l’espace public.
K.H. : En effet, l’espace public appartient à tout le monde : musulmans, bouddhistes, Arabes, juifs et Noirs. Et devinez quoi ? Ils sont tous citoyens hollandais comme vous et ils ont donc autant le droit que vous de conserver leur identité lorsqu’ils sortent dans la rue. Si votre phobie de l’islam vous donnait le droit d’interdire les femmes voilées dans l’espace public, un raciste pourrait exiger la même chose pour les Noirs, non ?
Le problème est que les islamophobes considèrent leur identité comme la seule identité acceptable du fait qu’ils sont incapables de respecter ceux qui ont une identité différente.
LE PORT DU VOILE, UN ACTE OSTENTATOIRE ?
Halbe Hibma : Je pense que le port du voile ne peut faire partie de notre culture parce que c’est quelque chose que l’on inculque aux femmes. Que ce soit pour des raisons culturelles, religieuses ou même éducatives, on leur enseigne qu’elles doivent porter le voile. Ce n’est pas quelque chose qu’elles auraient porté d’elles-mêmes.
K.H. : Et vous, ne vous a-t-on pas inculquée de vous habiller et de ne pas vous trimballer toute nue dans la rue ? Si personne ne vous avait inculqué la notion de la tenue vestimentaire, pensez-vous qu’aujourd’hui vous vous promèneriez habillée comme vous êtes ? Ou porteriez-vous vos vêtements entièrement de par vous-même ?
Halbe Hibma : Ce n’est pas pareil. Le port du voile des femmes musulmanes est considéré comme une expression de leur religion et c’est donc un acte d’ostentation (« je suis musulmane, donc je porte le voile »). C’est une chose qui n’est plus en phase avec l’époque d’aujourd’hui.
K.H. : Un problème commun chez les personnes qui souffrent de la phobie de l’islam est qu’elles voient dans les pratiques religieuses des musulmans « des signes ostentatoires ». Comme si l’unique but de ces femmes était de s’exhiber pour montrer qu’elles étaient musulmanes. Or, l’expression de « signes ostentatoires » en dit plus sur ceux qui l’emploient que sur ces femmes. Pourquoi ? Car par cette expression, les islamophobes admettent qu’ils ressentent la visibilité d’un musulman comme une agression. Or, plutôt que d’assumer leur racisme antimusulman, ils vont mettre la faute sur la femme voilée en lui attribuant de mauvaises intentions : « elle le fait parce qu’elle veut être vue », « cet un acte politique », « elle ne pense qu’à exprimer son identité religieuse », etc. Faux ! Elle le fait simplement parce qu’elle veut pratiquer sa religion et la façon dont elle le fait ne vous regarde strictement pas. La seule chose que vous puissiez exiger c’est qu’elle respecte la loi. Pour tout le reste, vous devez la laisser tranquille.
L’idée sous-jacente de votre déclaration, Halbe, est la même que celle de l’apartheid en Afrique du Sud d’antan et de la ségrégation aux États-Unis dans les années 60. Les racistes se sont sentis attaqués par la visibilité de la peau noire qu’ils ne pouvaient supporter. Ils se sont alors approprié l’espace public en instaurant une ségrégation raciale qu’ils appelaient la barrière de couleur (Colour Bar). L’objectif était de limiter au maximum la visibilité des Noirs.
Les islamophobes en Europe raisonnent aujourd’hui de manière identique à la différence près qu’ils ont remplacé la barrière de couleur (Colour Bar) par une barrière culturelle (Culture Bar). Mais dans les deux cas, on souhaite cacher « l’altérité » de l’Autre (les Noirs ou les musulmans) afin de ne pas être confronté à son propre racisme, qu’il soit racial ou culturel…
À suivre…
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